Comité de liaison (CLAN-R)

Editoriaux


BOUALEM SANSAL NOUS INTERPELLE...

Boualem Sansal, en détention depuis plus de cinq mois doit beaucoup s’interroger, se demander ce que font ses amis, ce que font les pouvoirs publics. Il doit se sentir abandonné. Et pourtant je n’ai aucun mal à imaginer, si les rôles étaient inversés, ce que sa générosité, son courage, son sens de l’amitié lui feraient faire.

Il nous interpelle.

Durant des années il a crié son amour de la langue française qu’il a su faire vivre dans une œuvre remarquable ; il a exprimé aussi son amour de la France et nous a averti avec insistance des dangers qu’elle court.

Dans un article que je lui avais demandé en 2014 et qu’il a intitulé « Le français une clé pour l’avenir  », il évoquait l’origine de son amour pour notre langue en ces termes : « Quand je suis né, l’Algérie était la France, et la vie semblait installée dans l’éternité pour les jeunes pousses que nous étions. Le français était à l’honneur, rien n’était plus important. A la base, il y avait un discours sur la civilisation, il ne laissait personne indifférent, il y avait de l’émulation. Le français m’a été infusé dans ce contexte, avec mes premiers biberons ». En septembre 2024 Il a publié : «  Le français, parlons-en ! ».

Il nous interpelle.

«  France qu’as-tu fait de ta langue ?  » écrit-il. Un cri d’alarme. Il nous dit pourquoi et comment la francophonie peut et doit réenchanter le monde. Il semble nous interroger : « Et vous, l’aimez-vous comme elle doit être aimée la langue française ? »
Son œuvre, nous la connaissons ; elle est considérable. Des ouvrages qui lui ont valu un grand nombre de prix dont le grand prix de la francophonie et le grand prix du roman décernés par l’Académie française et le prestigieux prix de la paix des libraires allemands.

Dans ses romans, il fait preuve d’une imagination romanesque foisonnante mais une imagination qui puise dans la réalité et en dessine la complexité, en scrute les failles, en rend sensibles les abîmes. Ses détracteurs les lisent avec la plus grande attention et même entre les lignes ; ils ne les comprennent pas toujours bien mais ils critiquent, et quelquefois avec violence.

Mais rien ne peut arrêter Boualem Sansal car il a décidé une fois pour toutes d’être un homme libre, sachant que si l’écrivain est assujetti à une nécessité, c’est bien à la liberté. Lorsque certains s’étonnent de le voir prendre tant de risques, il lui arrive de leur répondre : «  Est-ce que la tranquillité doit passer avant la liberté ? ».

Ces mots résonnent en nous.

Il y a chez lui le courage, mais il y a aussi une haute idée des devoirs de l’écrivain. En exergue du Village de l’Allemand, évoquant une imaginaire correctrice des épreuves de l’ouvrage, il fait dire à son héros : « Elle dit qu’il y a [dans ce livre] des parallèles dangereux qui pourraient me valoir des ennuis. Je m’en fiche, ce que j’avais à dire, je l’ai dit, point, et je signe  » ; il fait ainsi écho au célèbre aphorisme de René Char : « Tu ne peux pas te relire mais tu peux signer ».

Dans ses ouvrages, il aborde des thèmes que bien peu oseraient seulement mentionner. Ainsi, dans Le Village, encore, il évoque la tragédie de la shoah et ceux qui veulent tout en ignorer. En 2012 il a essuyé les critiques les plus virulentes pour s’être rendu à Jérusalem, au Festival international des écrivains. Un prix littéraire lui a été retiré !

Inévitablement, on le rapproche d’Albert Camus et je ne fais pas seulement référence, bien sûr, au fait que le quartier de Belcourt les a réunis : Camus rue de Lyon, lui rue Darwin à deux pas. D’ailleurs, dans Rue Darwin, il fait référence « à cet autre enfant de Belcourt (…) ressortissant de la rue de Lyon, le fils de la vieille Catherine, la voisine du quartier ».

Outre le talent, les rapprochent la hauteur de vue, la liberté d’esprit, la franchise, l’amour passionné de leur même terre, l’affection profonde pour tous ceux qui l’habitent, la tolérance, le goût du dialogue et surtout une profonde humanité qui tant chez l’un que chez l’autre a été mal comprise. S’ils avaient vécu dans la même époque, ils auraient certainement aimé tous deux se retrouver chez Charlot, la si célèbre librairie d’Alger.

Une grande partie de son œuvre vise à nous éclairer, à nous rendre lucide, à nous faire voir les réalités du temps présent. C’est particulièrement le cas dans 2084 – la fin du monde paru en 2015, livre qui lui a valu le grand prix du roman de l’Académie française. Dans cet ouvrage, à la faveur de l’épreuve qu’a constitué sa maladie, le héros, Ati, devient réellement vivant, c’est à dire éveillé, dessillé. Un étrange mot venu de loin prend forme : « Li…ber…té ». Ce cri intérieur surgit alors que Ati est soumis, comme tous, à la loi implacable de l’Abistan, un immense empire sans frontières et sans passé. 2084 est, en effet, le roman d’une conversion qui prend l’aspect d’une subversion dans un monde où il est obligatoire de croire ou tout au moins de faire comme si on croyait ; il écrit : « Il eut la révélation de la réalité profonde du conditionnement qui faisait de lui et de chacun, une machine bornée et fière de l’être, un croyant heureux de sa cécité  ».

Si la référence du roman est évidemment l’uchronie imaginée par Orwell dans 1984, la source se situe dans la pensée de Camus et notamment dans son cycle consacré à la révolte. C’est l’esprit de révolte qui manque aux Abistanais.

L’avertissement qui figure au début de l’ouvrage ne dupe personne ; je cite : « C’est une œuvre de pure invention, le monde (…) que je décris dans ce livre n’existe pas et n’a aucune raison d’ exister à l’ avenir[…] Dormez tranquilles, bonnes gens, tout est parfaitement faux et le reste est sous contrôle. ». On reconnaît bien là l’ironie malicieuse de Boualem Sansal.

Le 4 déc 2014, dans le discours qu’il prononça à l’Académie des sciences d’outre-mer, après avoir reçu la Médaille d’or de La Renaissance Française pour l’ensemble de son œuvre, il nous disait à quel point il était heureux, je le cite, « de posséder un peu de cette richesse qu’est la culture française et d’être quelque part le produit de l’Histoire de France..  ». Et il ajoutait : «  La France est dans le cœur et l’esprit de centaines de millions de personnes à travers le monde. Peu de pays, voire aucun, j’ai cherché, peuvent se flatter de recueillir une telle masse de sympathie, d’admiration, de reconnaissance et d’amour ».

La France lui rend-elle l’amour qu’il lui porte ?

Il nous interpelle !

Denis Fadda

Boualem Sansal nous interpelle- Denis Fadda

Articles les plus récents


Articles les plus récents


Des JUSTES de l’Armée Française en Algérie 1962

dimanche 3 janvier 2021
Ces "Justes", qui ont donné une raison de croire en l’Humanité, ont su placer leur sens de l’honneur au dessus de la basse obéissance. Ils ont ainsi essayé de rapatrier en métropole, malgré la forte hostilité de la hiérarchie, tous ces soldats musulmans qui se sont battu pour la France et qui ont cru en (...)


5 Décembre 2020- L’ANRO a rendu hommage aux victimes de la guerre d’Algérie.

dimanche 3 janvier 2021

La situation sanitaire actuelle, n’a pas permis de rendre les hommages habituels, mais il n’était pas pensable de ne pas le faire...La cité des Rapatriés de Marseille a répondu présent à cette cérémonie



Le Général François Meyer élevé à la dignité de Grand Croix de la Légion d’honneur

dimanche 3 janvier 2021

Le Général François Meyer élevé à la dignité de Grand Croix de la Légion d’honneur



NOTE SUR L’ACTION PUBLIQUE DE CHARLES LEVY EN ALGÉRIE FRANÇAISE

jeudi 31 décembre 2020

L’Algérie naissante, a su faire émerger les talents dans tous les domaines. Des médecins, des chercheurs, des écrivains, des ingénieurs, des artistes, des capitaines d’industrie et d’agriculture, etc....Aujourd’hui, il est question d’un bâtisseur humaniste ...Charles Lévy.



Domaine De La Trappe- Hélène Géli

jeudi 31 décembre 2020

L’histoire d’un grand acteur de l’économie d’Algérie



Vœux de Noël et de Nouvelle Année

jeudi 31 décembre 2020


Conte de Noël Oranais

dimanche 20 décembre 2020

Un souvenir d’enfance , d’un éternel enfant...



5 Décembre 2020- Commémoration à Marseille

dimanche 20 décembre 2020
L’ANRO a rendu hommage aux victimes de la guerre d’Algérie. Le 5 décembre dernier, la commémoration nationale « Hommage aux victimes Civiles et Militaires de la guerre d’Algérie et des combats du Maroc et de Tunisie » s’est déroulée avec l’ANRO, dans trois localités des Bouches du Rhône. En premier lieu, (...)


26 mars 2019 - Robert Ménard, maire de Béziers rendait " Hommage aux Français victimes du massacre de la rue d’Isly à Alger"

samedi 19 décembre 2020

Monsieur Robert Ménard, en 2019, nous disait ce qu’il pensait du 26 mars 1962...Alors écoutons encore une fois, une voix forte, une voix courageuse, une voix qui nous parle vraiment.



5 Décembre 2020-Discours de Geneviève DARRIEUSSECQ, Ministre déléguée auprès de la ministre des Armées lors Journée nationale d’hommage aux « morts pour la France » pendant la guerre d’Algérie et les combats du Maroc et de Tunisie

samedi 19 décembre 2020
NDLR : Rappel(Depuis 2002 le 5 Décembre est la Journée d’Hommage National - Morts pour la France - de la guerre d’Algérie et des combats du Maroc et de la Tunisie, hommage auquel sont associée les victimes civiles par la loi de 2005 . Rappel : Loi n° 2005-158 du 23 février 2005 portant (...)

Accueil | Contact | Plan du site | | Statistiques du site | Visiteurs : 475439

Suivre la vie du site fr    ?

Site réalisé avec SPIP 3.2.19 + AHUNTSIC

Creative Commons License