« La fabrique de l’Histoire » et l’identité pieds-noirs
La chaine FM France Culture, qui décidément s’intéresse beaucoup à l’Algérie française ces temps ci pour le pire plus que pour le meilleur, vient de commettre une émission de plus dans le cadre de la bien nommée série « La fabrique de l’Histoire ». Il s’agissait de rechercher et définir « l’identité pieds noirs »… ce qui a été déjà tenté : à cet égard on peut s’étonner de l’absence au débat de Mme Verdes-Leroux, qui fut la seule à sonder en profondeur notre communauté. Au lieu de quoi, d’autres auteurs au nombre de quatre menèrent la discussion, dont Savarese, historien mais surtout idéologue et agitateur, dont le fil conducteur intellectuel est une haine pathologique des Français d’Algérie.
Le débat s’ouvre sur une effarante affirmation : les Pieds Noirs sont une « catégorie sociale », en somme comme les mineurs de fond, les retraités fonctionnaires ou les joueurs de pétanque… les Bretons ou les Alsaciens sont ils une catégorie sociale ? la question n’est pas posée…. puis, et là rendons grâce aux intervenants, on nous a épargné les habituelles sottises sur l’origine du mot, les bottes des soldats de la conquête etc. , relevant seulement l’origine marocaine du sobriquet et surtout son apparition tardive dans l’Histoire. Cela devait être dit.
Sur la définition du groupe appelé « Pieds noirs », confusion totale . Une définition juridique a été proférée, qui est une monstruosité : outre qu’un sobriquet ne définit pas une entité juridique, donner comme définition « population qui, en Algérie, jouissait de la citoyenneté française et avait le droit de vote » est malhonnête .
Cela part de l’éternel postulat suivant lequel les musulmans étaient interdits de vote, ce qui est ignorer la possibilité pour tous de renoncer au statut personnel en acquérant la citoyenneté par simple acte volontaire, l’existence du 2eme collège et la dévolution automatique de la citoyenneté à certaines catégories telles que les anciens combattants. Vieille antienne ! peu glorieuse pour des « historiens »…. De plus cette définition inclut les Juifs immémorialement installés en Algérie, citoyens français depuis le décret Crémieux, mais Pieds Noirs par communauté de destin seulement.
Il serait tellement plus simple d’énoncer qu’est réputé Pieds Noirs celui qui, d’origine européenne, est immigré, né ou installé en Algérie de 1830 à 1962…. sans oublier que le terme s’applique à la Tunisie et au Maroc avec les correctifs de date appropriés. Le sens commun s’y retrouverait !
Les débateurs se sont évertués à prouver que ce groupe humain , qui à leurs yeux n’est pas une « communauté », ce que nous leur concédons aisément, n’a pris conscience de sa personnalité qu’après l’exode, sous la forme folklorique associative etc.. Observons d’abord que la conscience de son originalité, et surtout de son évolution spécifique, est apparue dès la fin du XIX ° siècle et très explicitement formulée par les écrivains algérianistes , donc par des intellectuels lucides, à partir de 1910 ; mais dans la sensibilité populaire, si cette conscience n’était pas formulée, elle se manifestait avec force. A tout Européen d’Algérie qui visitait sa métropole pour la première fois, effaré par l’abyssale ignorance qu’on y manifestait sur notre province, le sentiment de sa « différence » était aveuglant ! Il l’est encore de nos jours, plus encore peut être…
Le débat a porté évidemment sur la cohésion de cette population sur le sol métropolitain après l’exode de 1962, non sans avoir escamoté la période si traumatisante des derniers mois sur le sol algérien . Peu de mots sur le refus de nous accueillir, l’hostilité des politiques, l’arbitraire de l’administration… sans doute n’était ce pas le sujet, mais comment comprendre sans tenir compte de facteurs si importants ?
Une fois de plus, on nous concède du bout des lèvres que nous sommes des victimes, mais … n’en abusons pas ! On relèvera au passage une phrase montrant la profondeur de l’incompréhension des intellectuels : il parait que nos concitoyens étaient bien aises d’avoir … « retrouvé la paix » en arrivant dans la métropole… sans doute faut il avoir vécu ces évènements pour sentir une vérité toute simple : il y a pire que de faire une guerre, c’est de la perdre….