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63 ème anniversaire du 26 mars 1962- Simone Gautier
Je ne sais pas comment j’ai fini de m’occuper des enfants, comment j’ai passé cette nuit ? Je ne sais pas. Je n’en ai pas de souvenirs. Mais j’avais froid et je suis allée chercher la veste de Philippe qui sentait bon l’Amsterdamer, pour y dormir dedans.
Au matin, les enfants déjeunaient et mon père est passé devant la fenêtre de la cuisine...Alors, j’ai compris...Il me semble que je tombe...les enfants crient...et puis je ne me souviens plus...sauf que j’entre à l’hôpital Mustapha et là, une autre moi-même se met à hurler, que j’entendais de loin, et qui m’assourdissait pourtant. La douleur naissait au creux du ventre, montait en s’irradiant, arrivait dans ma poitrine comme une brûlure intolérable, et le hurlement s’échappait tout seul de ma gorge avec mon souffle. J’ai couru m’enfermer dans le service du docteur Sutter, chez qui j’avais un stage. Je ne me souviens plus, combien de temps je suis restée là à hurler.
Je me suis mise à mourir...
Et puis, on est venu me chercher pour m’amener dans une grande salle où des corps, tous nus, étaient allongés, en vrac, par terre. Il fallait passer par dessus, c’était un spectacle effroyable, tous ces corps mutilés, entortillés de bandages au milieu des quels, je le cherchais.
Philippe était dans une salle, habillé, et était allongé sur une table. On l’aurait donc amené vivant, et laissé mourir sur cette table ? Il avait un gros pansement sur le côté de la tête, il n’était pas défiguré, il était lui. Je me suis jetée sur lui, alors que tout s’en allait autour de moi.
Je me suis mise à mourir. J’ai du passer l’après-midi avec lui, le serrant dans mes bras, l’embrassant. Et puis, on m’a arraché à lui. Et puis, je ne sais plus...Les jours suivants...
Les défaillances de ma mémoire me protègent sans doute, encore aujourd’hui, des gouffres de l’horreur et de la douleur, de ces trous noirs et béants où il n’est plus rien...Je suis retournée au plateau des Glières, place de la Grande Poste, avec Martine, ma fille. Je l’entendais qui disait :"maman a du chagrin, il faut la laisser" tandis que j’embrassais chaque pavé où avait du couler son sang.
Philippe, cité à l’ordre de la Brigade, et à l’ordre du Régiment, pendant son service militaire, pour avoir à chaque fois, ramené ses hommes, s’était fait tuer d’une balle dans la tête, de façon délibérée, par l’armée française, comme on achève les chevaux ou plutôt, un chien enragé. Achevé à bout portant, il a vu la mort arriver. De quel côté se trouvaient donc les bêtes sauvages ? Philippe, cité de façon élogieuse par cette même armée qui parlait d’honneur, de courage, de valeur...Je n’ai pas besoin de consulter les archives pour reconnaitre dans cette sauvagerie et cette haine, une volonté délibérée, calculée, préméditée...
La violence de cette cruauté sur lui, cette mort humiliante, infligée à un homme courageux et généreux, oui, si généreux, cette violence s’est emparée de moi. Je crois qu’on peut mourir de chagrin, devenir fou, ne pas revenir...
La valise -ET-le cercueil !
J’ai entassé tout ce qu’il y avait dans l’appartement, je voulais y mettre le feu, mais je n’ai fait que tout casser. J’ai maudit la France pour sept générations, j’ai supplié Dieu, qu’il existe afin qu’il refuse à tous ces gouvernants, tout espoir de rédemption. J’ai prié de toutes mes forces pour que ces donneurs d’ordre périssent par le feu, le fer et le sang, que ces faiseurs de destins trahis, au nom de la loi, que ces faiseurs de belles paroles, crachats pleins de pus, croupissent en enfer à jamais. J’ai invoqué la malédiction définitive sur ma Patrie, l’Algérie, et sur ce pays, la France, que j’avais tant aimé à l’école. J’ai supplié que toutes les souffrances des corps et des âmes, soient à jamais, réservées à ceux-là. : les entendre gémir, supplier, hurler de terreur, courir de terreur...et mourir dans le caniveau...Je serai là pour les venger...
Et puis, je me suis arrêté de hurler.
J’ai emmené les enfants au pays de leur père, dont il était si fier. J’ai fait la valise. Pour mes enfants et moi, ce n’était pas "la valise ou le cercueil" ; c’était, pour nous, "la valise-et-le cercueil"...Nous n’avons pas trouvé les Français, nous avons trouvé des gens qui ne nous aimaient pas.
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26 mars 1962
- 63 ème anniversaire du 26 mars 1962- Simone Gautier
- Simone Gautier- ALGER Plateau des Glières 26 mars 1962
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